Pandémie oblige, l’un des grands rendez-vous de la musique ambiante a migré sur YouTube. Retour sur une expérience de terrain en ligne.
Maxime Papaux – Depuis 2010, le Soundquest Fest rassemble les amateur.trice.s de musique électronique ambiante en Arizona. Cette année, la manifestation a pris la forme d’un livestream YouTube de trois jours (26-28 mars) alternant, dans un flux continu, concerts, interviews, documentaires et autres transmissions audio-visuelles. Le format numérique a permis de réunir simultanément jusqu’à 1’000 participant.e.s du monde entier interagissant par le biais d’un livechat. Isolation physique et collectivité virtuelle semblent avoir rencontré un bon écho au sein de la communauté: « All future SoundQuests should be streamed like this, now it’s a global event not confined to a certain space. In a strange way, isolated we become more connected through a live event in cyberspace », exprime John Solitude (pseudo) dans le fil de discussion. La dimension méditative, introspective et immersive de la musique performée semble, par ailleurs, davantage se prêter à ce type d’expérience que le pourraient être d’autres styles de musique; le succès croissant de la musique new age durant la période de confinement semble soutenir cette hypothèse.
Le fondateur et organisateur du festival, Steve Roach (1955), est l’une des grandes figures de la musique électronique ambiante depuis les années 1980. Le compositeur américain a notamment été nominé aux Grammy Award du meilleur album New Age en 2018 et en 2019. Sa musique, il la conçoit volontiers comme une prescription médicale susceptible de soigner l’anxiété et la dépression par altération de la conscience; le recours au séquenceur y est central afin de créer ce que l’on pourrait qualifier de mandalas sonores. Cette conception thérapeutique et spirituelle de la musique est omniprésente dans le discours des auditeur.trice.s. Nous la résumerons volontiers par la locution suivante: « It’s all vibration, energy! » (pseudo: TJF). À l’affiche du festival, se retrouvent ainsi nombre d’artistes ayant collaboré avec Steve Roach. Parmi eux, nous retiendrons notamment Michael Stearns (1948) – l’un des pionniers de la musique électronique New Age -, Robert Rich (1963) – connu pour ses sleep concerts -, ou encore Howard Givens -, producteur, ingénieur de mastering et cofondateur du label Spotted Peccary Music. Ces musiciens ont activement développé l’héritage de la Berlin school of electronic music des années 1970 aux États-Unis; notamment à travers la production de musique dite New Age ayant connu son apogée dans les années 1990. Aujourd’hui, et ce depuis les années 2010, ces artistes connaissent un regain d’intérêt au sein de la plus jeune scène alternative (redécouverte du format cassette intimement lié à la production des débuts du genre, réédition d’artistes et nouvelle production de musique New Age). Ceci explique la présence notable de sexagénaires dans le livechat du festival témoignant couramment de leur entrée dans cet univers musical dans les années 1970 et 1980, par le biais de la station radio Hearts of Space ou par des groupes tels Tangerine Dream, Vangelis, Klaus Schulze, Jean-Michel Jarre, Pink Floyd ou encore Kraftwerk. L’un des participants releva, à ce propos, l’importance de la présence de plus jeunes artistes au sein de la programmation: « I mentioned this last night but I think Serena [Gabriel] ’s contribution is really important, helping to bring a new generation into this music, since a lot of us are a bit older. She’s a breath of fresh air » (pseudo: DJ Weideman).
« So many of you guys have been on Hearts of Space and Star’s End, this is a who’s who’s of electronic ambient artists » – Ward Lord (pseudo).
Les interactions entre participant.e.s furent contenues dans le fil de discussion apparaissant dans la marge du livestream YouTube. Chaque commentaire étant limité à 200 signes et le rythme des publications pouvant être soutenu lors des concerts (audience variant entre 500 et 1’000 personnes), l’échange d’impressions « à vif » ainsi que le partage d’informations succinctes étaient favorisés; des discussions plus suivies étant toutefois possibles hors des heures de grande affluence. Un tel système possède notamment l’avantage de pouvoir sonder simultanément une large population en soumettant questions et hypothèses. De même, le livechat fournissait un précieux aperçu global du discours ainsi que de l’univers référentiel propre à la communauté. L’échange de recommandations de matériel électronique, de littérature, de musique et autres informations se mêlait aux témoignages portant tantôt sur la performance en cours, tantôt sur la façon que chacun.e avait d’appréhender la musique. Les concerts étant en réalité différés, les auditeur.trice.s pouvaient également dialoguer avec les musicien.ne.s durant la transmission (effectuée depuis le domicile des artistes). Bien qu’il s’agît d’un festival généraliste de musique électronique ambiante et non un événement spécifiquement New Age, la dimension mystique et thérapeutique de la musique était omniprésente: néochamanisme (Castaneda et ayahuasca), fréquences de guérison, exploration de la conscience, méditation, yoga, musique des sphères, bio-résonnance, univers visuel mélangeant mandalas kaléidoscopiques, encens, statues hindoues, bols tibétains, etc. La performance de Michael Stearns fut ainsi qualifiée par un auditeur de « transcendence into the peripheral » (pseudo: James Keeler).